Regard sur la réforme du droit des entreprises en difficulté du 15 septembre 2021

20 octobre 2021

La restructuration des entreprises en prévention a changé depuis le 1er octobre 2021 par une une Ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce et par son décret d’application n° 2021-1218 du 23 septembre 2021. Celle-ci apporte quelques innovations sans remettre en cause l’architecture du droit des procédures collectives.

Quelles sont les mesures renforçant la prévention des difficultés des entreprises ? Qu’en est-il des dispositions relatives à la sauvegarde et à la sauvegarde accélérée ? Que penser de cette réforme ?

Retrouvez l’interview de Harry Bouganim, associé pour Lex Inside, la webTV du Monde du Droit.

LEX INSIDE - Emission du 20 octobre 2021

Quelles sont les mesures renforçant la prévention des difficultés des entreprises ?

Rappelons qu’en matière de prévention des difficultés des entreprises, il existe diverses procédures pouvant être sollicitées par l’entreprise avant d’être en état de cessation des paiements, notamment :

• La procédure de conciliation : elle a pour objectif de trouver un accord amiable avec ses principaux créanciers afin de résoudre les difficultés rencontrées par l’entreprise.

• La procédure de sauvegarde : elle doit permettre, par la mise en place d’un plan de sauvegarde, de traiter les difficultés avant d’être en état de cessation de paiement.

Lorsque, en revanche, l’état de cessation des paiements est avéré, le dirigeant se doit de solliciter l’ouverture d’une procédure collective et notamment le redressement judiciaire s’il est possible pour l’entreprise de continuer à maintenir son activité et ses emplois.

Avec la crise du Covid, un grand nombre de Président des tribunaux de commerce avaient prédit une vague de « dépôts de bilans ».

A ce jour, cette vague de faillites ne s’est pas encore vérifiée et, dans le contexte actuel de sortie de crise sanitaire, la « prévention » des difficultés des entreprises est un enjeu majeur.

L’entrée en vigueur (le 01/10/2021) de l’Ordonnance du 15/09/2021 tombe donc à pic, puisqu’en matière de « prévention », elle vient justement instituer de nouvelles mesures.

Insistons sur deux d’entre elles :

1/ le renforcement des pouvoirs du Président en conciliation :

Désormais, en procédure de conciliation, le Président du Tribunal de Commerce peut imposer aux créanciers, qui refusent de suspendre l’exigibilité de leurs créances, de reporter ou échelonner le paiement de sommes dues au visa de l’article 1343-5 du Code civil.

Ce principe d’octroi d’un « délai de grâce », bien connu des débiteurs engagés dans une procédure judiciaire, est un nouveau pouvoir attribué au Président qui permet de renforcer l’efficacité de la procédure de conciliation.

Cette mesure peut également encourager les dirigeants à solliciter, le plus tôt possible, les Tribunaux de Commerce pour l’ouverture d’une conciliation.

2/ L’institution d’un privilège de « post money » en sauvegarde et en redressement judiciaire

La prévention des difficultés ne se situe pas qu’en amont d’un état de cessation des paiements.

En effet, une fois placée sous la protection du Tribunal, en sauvegarde ou en RJ, l’entreprise doit encore, durant une période dite « d’observation » pouvoir établir un plan lui permettant de faire face à son passif.

Souvent, la restructuration de l’entreprise ne suffit pas et l’apport d’argent frais est alors un besoin vital.

Or, nous constatons qu’il est très difficile pour une entreprise en sauvegarde ou en RJ d’obtenir des financements durant la période d’observation.

Pour répondre à cette problématique, l’Ordonnance instaure désormais un privilège « post-money » qui va permettre d’encourager l’apport de trésorerie durant la période d’observation (par exemple, par des créanciers ou par le dirigeant même, via un apport en compte courant) en fixant un privilège de remboursement de ce nouvel apport.

L’apport doit être autorisé par le juge commissaire.

Il peut également s’agir de l’engagement d’un apport de trésorerie durant l’exécution du plan.

Cette nouvelle mesure vise donc également, à mon sens, à renforcer la prévention des difficultés des entreprises en cours même de procédure collective.

Qu'en est-il des dispositions relatives à la sauvegarde et à la sauvegarde accélérée ?

1/ S’agissant de la durée

Dans le cadre de la procédure de sauvegarde, et durant la période d’observation, l’entreprise doit présenter et faire adopter un plan lui permettant de répondre de ses dettes et d’éviter d’entrer en état de cessation des paiements.

La période d’observation était de 6 mois, renouvelable une fois et, dans certaines circonstances, renouvelable encore une dernière fois.

Nous pouvons retenir que l’Ordonnance a voulu raccourcir ces délais.

La période d’observation est désormais de 6 mois, renouvelable une fois sur décision spécialement motivée.

C’est une distinction logique par rapport à la procédure de RJ où l’entreprise connait un état de cessation des paiements avéré et où le délai nécessaire à l’élaboration de son plan peut donc s’avérer plus long.

Cette mesure traduit certainement une volonté de presser les parties en présence à élaborer un plan qui soit acceptable par tous, avant d’être contraint de devoir constater un état de cessation des paiements.

S’agissant de la sauvegarde accélérée : elle est une procédure de sauvegarde :

• qui vient en complément d’une procédure de conciliation déjà ouverte

• dont la période d’observation et le plan doivent être mis en place rapidement entre l’entreprise et les créanciers

• qui concernait des entreprises dépassant certains seuils

Depuis l’Ordonnance, la sauvegarde accélérée est ouverte à pratiquement toutes entreprises dont les comptes sont établis par un expert-comptable et elle est désormais d’une durée de 2 mois, prorogeable à 4 mois maximum.

2/ S’agissant de l’organisation des créanciers en vue de l’adoption du plan 

Au lieu des anciens « comités de créanciers » en charge de l’étude du plan, il est désormais instauré des « classes de parties affectées ».

Ces classes vont regrouper les créanciers dont les mêmes droits et les mêmes intérêts économiques sont directement affectés par le projet de plan.

La constitution de ces classes (automatique en sauvegarde accélérée et sur demande en sauvegarde et en RJ) est laissée à l’appréciation de l’administrateur judiciaire.

Ainsi, certainement dans le but de faciliter une approbation du plan par catégorie de créanciers ayant un intérêt économique commun mais aussi dans le but de veiller à la protection de leur égalité, le législateur a l’ambition de faire de ces regroupements de créanciers, des classes qui soient homogènes et cohérentes.

Dans cette logique, la procédure de « sauvegarde financière accélérée » qui ne concernait que les créanciers financiers n’existe plus et a été intégrée dans cette nouvelle procédure de sauvegarde accélérée.

Enfin, au-delà de cette réorganisation pratique, il faut souligner une autre nouveauté de l’Ordonnance :  la possibilité d’un interclasse forcé.

A défaut d’adoption du plan par l’ensemble de ces classes, et sous réserve notamment :

• que la majorité des classes l’ait accepté (dont au moins une classe détentrice de suretés réelles ou d’un rang supérieur aux créanciers chirographaires),

• que les intérêts des créanciers dissidents demeurent suffisamment protégés,

le Tribunal a désormais le pouvoir d’imposer le plan à tous.

Il sera donc intéressant de voir en pratique si ces mesures, visant l’organisation des créanciers, vont produire l’effet escompté et permettre un accroissement de l’adoption des plans.

Que penser de cette réforme ?

En tant que praticien, à la lecture de cette Ordonnance, on a le sentiment de mesures qui visent à renforcer l’efficacité des procédures existantes et données aux dirigeants et aux tribunaux de commerce pour tenter de sortir les entreprises de leurs difficultés.

–  Délai de grâce par le Président en conciliation
– Pouvoir de mini-enquête du Président dès la convocation du dirigeant, ce dont nous n’avons pas parlé en matière de prévention
– Imposition du plan aux créanciers dissidents

Il y a également la recherche d’un équilibre avec la protection fondamentale des intérêts des créanciers.

  Répartition en classes de parties affectées
– Privilège de post-money en sauvegarde et en RJ

En conclusion, cette Ordonnance ne révolutionne pas les procédures collectives telles que nous les connaissons mais elle a le mérite de codifier des mesures pratiques qui vont dans l’intérêt de l’ensemble des acteurs de l’économie.

A nous, avocats et autres auxiliaires de justice, de nous en servir pour être force de propositions concrètes et efficaces auprès des dirigeants.