Non-dépôt des comptes annuels : se méfier des droits des créanciers potentiels

17 décembre 2021

Une ordonnance de référé rendue par le Président du tribunal de commerce de Rennes le 21.10.2021 (RG°2021R00058) illustre qu’en cas de non-dépôt des comptes annuels, il peut coûter cher de devoir procéder à une régularisation.

Le dirigeant d’un groupe de sociétés a été condamné, à la demande d’un potentiel créancier, à régulariser, sous une forte astreinte journalière, les formalités de publicité des comptes sociaux de toutes les sociétés de son groupe, au titre des dix derniers exercices sociaux.

1 – Quelle sanction en cas de non-dépôt des comptes annuels ?

« Maître, je n’ai pas tenu mes assemblées générales depuis quelques années …..  quels risques j’encours ? et si je ne publie pas mes comptes annuels, que se passe-t-il ? »

A ces questions classiques, souvent posées par les dirigeants au moment de l’établissement des comptes de leurs sociétés, il convient de répondre par des explications pratiques sur le sens et la portée de l’obligation légale de dépôt des comptes.

L’obligation légale faite aux sociétés de déposer annuellement leurs comptes et les documents juridiques y afférents (L.232-23 et L.232-22 du Code de commerce) poursuit un but de transparence économique et, à travers lui, celui de protéger ses acteurs. En théorie, l’absence de dépôt des comptes annuels est sanctionnée par une amende qui peut s’élever à 1500 €. Des sanctions civiles peuvent également être prononcées.

2 – L’injonction de déposer les comptes annuels par le juge des référés

Le non-respect de cette obligation de dépôt des comptes annuels est sanctionnable (L.123-5-1 du Code de commerce) « à la demande de tout intéressé ou du ministère public » par une injonction de dépôt des comptes annuels sous astreinte, rendue par le Juge des référés, afin de faire cesser un trouble manifestement illicite.

Ce référé-injonction, généralement admis au bénéfice des créanciers avérés de la société défaillante, a récemment connu une nouvelle évolution par le Président du Tribunal de Commerce de RENNES, qui mérite d’être rappelée aux dirigeants en cette période de fin d’exercice.

Le créancier potentiel d’une société holding avait saisi le Juge des référés aux fins de faire condamner, sous astreinte, son dirigeant à déposer les comptes annuels de sa holding, défenderesse au procès, mais également ceux de l’ensemble des filiales de son groupe et ce, pour l’ensemble des exercices concernés, fussent-t-ils antérieurs, pour certains, de plus de dix ans.

La société-défenderesse a contesté le bienfondé de cette action aux motifs d’un prétendu abus de la demande et, en tout état de cause, de sa prescription pour une majeure partie des exercices sociaux visés.

Au visa des articles L.232-23 et L.232-22 du code de commerce, le Juge des référés a fait droit à la demande et a condamné solidairement le dirigeant et les sociétés concernées à respecter, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard, leur obligation légale de dépôt des comptes annuels et ce, pour l’ensemble des exercices concernés.

3 – Application large de l’injonction sous astreinte de déposer les comptes annuels

Le juge des référés, dans cette ordonnance, entend faire application de l’injonction de déposer les comptes annuels de manière large, tant au regard du nombre de sociétés visées et qu’à celui des exercices concernés.

  • Le juge peut enjoindre la holding et toutes ses filiales à déposer leurs comptes annuels

Au cas d’espèce, la société-demanderesse craignait que la société holding (défenderesse) n’organise son insolvabilité, notamment par des possibles mouvements de trésorerie entre les sociétés du groupe.

Dans cette logique, le droit à la transparence des comptes de la société-demanderesse a été étendu à l’ensemble des sociétés du groupe bien que la société holding soit la seule potentielle débitrice du demandeur.

Par son Ordonnance, le Juge des référés a donc donné un sens pratique à ce droit fondamental de la société-demanderesse et a refusé de permettre le maintien d’une quelconque opacité qui aurait pu nuire à l’intérêt de l’action du créancier (potentiel) poursuivant.

Il faut donc retenir que, en présence d’un groupe de sociétés, le non-respect de l’obligation légale de dépôt des comptes peut être sanctionné à l’encontre de l’ensemble des sociétés du groupe, peu importe que l’une d’entre elles seulement soit la débitrice potentielle du demandeur.

  • L’obligation de dépôt des comptes annuels n’est pas prescriptible

Au cas d’espèce, en considération de l’ancienneté des exercices visés, la portée de l’action de la société-demanderesse a été discutée par la partie adverse sur le plan des règles de prescription.

Or, dans la suite cohérente de la jurisprudence récente de la Cour de Cassation, le Juge des référés a considéré que lesdites règles ne peuvent lui être opposées lorsqu’il s’agit de mettre fin au trouble manifestement illicite résultant de l’absence de transparence des comptes.

L’exercice du droit à la transparence des comptes annuels n’est donc pas limité dans le temps.

En ce sens, outre le fait d’être le garant d’une économie transparente, l’obligation de dépôt des comptes annuels est également le corollaire du droit imprescriptible de tout créancier potentiel à se prémunir et/ou à agir contre toutes éventuelles menaces de recouvrement.

Il faut donc retenir que le non-respect de son obligation légale de dépôt des comptes annuels peut être sanctionné à la demande de toutes personnes intéressées au titre d’exercices anciens, dépassant les délais légaux habituels de prescription quinquennale ou triennale.

4 – Conseils pratiques sur l’obligation de dépôt des comptes annuels

Pour les entreprises qui ne souhaitent pas rendre publics leurs comptes annuels, et craignent en particulier de divulguer des informations importantes à la concurrence, deux conseils pour limiter les risques :

• Tenir à jour la documentation qui aurait dû être déposée, au cas où elle serait réclamée par toute personne intéressée ;

• Envisager la possibilité ouverte aux PME de déposer les comptes, tout en en demandant la confidentialité.

  • La documentation juridique relative à l’approbation des comptes sociaux doit être établie chaque année

Suite à l’Ordonnance rendue, la société-défenderesse et ses filiales se retrouvent confrontées à un problème pratique.

Il s’agit désormais pour elles de procéder au dépôt des comptes annuels et des pièces juridiques y relatives (affectation du résultat, rapport de gestion, rapport du CAC, etc…) au titre d’exercices anciens, datant pour certains de 2010. Alors qu’il est possible que ce suivi juridique n’ait pas été confié à un professionnel du droit en temps et en heure et doive être établi a posteriori.

Cette difficulté pratique et la désorganisation qu’elle entraine pour le dirigeant condamné est accentuée par l’astreinte financière dont est assortie l’Ordonnance (en l’espèce, 500 € par jour de retard).

Or, la négligence et le peu d’importance parfois accordé à ce type d’opération par les dirigeants peuvent les conduire à ne pas scrupuleusement préparer la documentation juridique relative à l’approbation des comptes annuels. Ils devront en conséquence reconstituer la documentation juridique de manière rétroactive et dans l’urgence.

Il faut donc retenir de cette Ordonnance l’importance pour chaque dirigeant de tenir, avec rigueur, un suivi juridique à jour de ses sociétés.
Et pouvoir ainsi répondre rapidement à toute injonction de régularisation de son obligation de publicité des comptes annuels et de la documentation juridique y afférente.

  • La possibilité pour certaines entreprises de déposer les comptes annuels en demandant la confidentialité

Sous certaines conditions (seuils de total de bilan, de chiffre d’affaires et de nombre de salariés), les entreprises peuvent au moment du dépôt des comptes annuels, opter pour la confidentialité du compte de résultat ou ne rendre publique qu’une version simplifiée de leur bilan et de leur annexe.

Dans ce cas, les données confidentielles ne sont plus accessibles pour les concurrents, mais le restent pour une liste limitative d’autorités administratives ainsi que pour la Banque de France.

 

Le cabinet DAHAN Avocats a été le conseil de la société demanderesse dans l’affaire commentée et a donc soutenu le droit de son client, créancier potentiel, à obtenir les informations financières concernant son débiteur éventuel et l’ensemble des sociétés contrôlées par ce dernier. Le cabinet DAHAN Avocats assiste les dirigeants en matière juridique et en contentieux des affaires.

 

Article rédigé par Carole Dahan et Harry Bouganim